Valorisation des Sargasses en Martinique : Une Opportunité Durable pour l’Environnement et l’Innovation
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Valorisation des Sargasses en Martinique : Une Opportunité Durable pour l’Environnement et l’Innovation
Depuis plus d'une décennie, les côtes de la Martinique sont régulièrement submergées par les algues sargasses, envahissantes et nauséabondes.
Ces arrivages massifs provoquent de lourdes conséquences sur la santé, l'environnement, le tourisme et l'économie locale.
Pourtant, face à ce fléau récurrent, une dynamique novatrice émerge : la valorisation des sargasses comme ressource.
Une Ressource Jugée Nuisible en Passe de Devenir Précieuse
Longtemps perçues uniquement comme une nuisance, les sargasses pourraient bien devenir un levier de développement durable.
Ramassées sur les plages ou en mer, ces algues brunes sont aujourd’hui au centre de projets de transformation en matériaux de construction, produits biodégradables, biocarburants et même cercueils écologiques.
En Martinique, c’est le GIP Sargasses (Groupement d’Intérêt Public) qui joue un rôle central en accompagnant les initiatives privées.
« Ce sont les porteurs de projets qui mènent les expérimentations », explique Frédérick Voyer, directeur du GIP.
Le groupement se positionne en facilitateur, connectant les entrepreneurs aux partenaires techniques et aux données scientifiques.
Sargasses au Marigot. Juin 2025. • ©mik
Normes Sanitaires : Un Obstacle à Surmonter
Toutefois, la valorisation des sargasses ne se fait pas sans contrainte. Les algues accumulent en mer de nombreux métaux lourds, notamment de l’arsenic, ainsi que des polluants comme le chlordécone présent dans les fonds marins antillais.
Avant d’être transformées, elles doivent donc être dépolluées, afin de respecter les normes environnementales et sanitaires imposées par l'Union européenne.
Cette nécessité d'épuration constitue un défi majeur, ralentissant l'exploitation à grande échelle. Contrairement à d’autres pays comme le Mexique, la République dominicaine ou certaines îles des Caraïbes anglophones, où des applications commerciales ont déjà vu le jour (lunettes en sargasses, briques de construction, engrais naturels), l'Europe impose un encadrement plus strict, basé sur la sécurité sanitaire et environnementale.
Encadré – Les risques sanitaires liés aux sargasses : Les émanations dégagées par les sargasses en décomposition sont riches en hydrogène sulfuré (H2S), un gaz potentiellement toxique. Associé à une exposition prolongée, il peut provoquer des troubles respiratoires, des maux de tête, des irritations des yeux et de la gorge. De plus, la contamination aux métaux lourds rend la gestion de ces algues encore plus complexe, d’où l’importance de traitements en amont pour toute tentative de valorisation.
Des Projets Innovants Déjà en Cours
Malgré ces freins, la Martinique n’est pas en reste. Trois projets pilotes sont actuellement en phase d’essai. Parmi eux, la fabrication de cercueils écoresponsables, d’objets de papeterie, d'éléments pour le secteur du bâtiment mais aussi de compost et de biogaz.
Le but est clair : réduire la pollution tout en créant de la valeur ajoutée. D’autres projets ambitionnent d’extraire les substances toxiques afin de les valoriser séparément et ainsi purifier la matière organique utilisable.
Zoom international :
Au Mexique, une entreprise transforme les sargasses en briques écologiques pour la construction de logements sociaux.
En Guadeloupe, une start-up a développé une ligne de montures de lunettes à base de sargasses.
En République dominicaine, les sargasses servent à produire du charbon biologique.
Aux Bahamas, certains hôtels utilisent des machines locales pour transformer les algues en compost sur site.
Ces innovations démontrent qu’une fois correctement traitées, les sargasses peuvent devenir une matière première précieuse.

Opération de ramassage d'algues sargasses en mer au Robert. • ©Capture facebook Ville du Robert
Un Défi de Saison et de Logistique
L’une des grandes difficultés reste la variabilité des arrivages. En moyenne, les sargasses sont présentes sept mois par an, avec de fortes disparités mensuelles. Cette irrégularité saisonnière rend complexe la planification d’une filière industrielle stable. Certaines années voient des arrivages massifs, d’autres connaissent des périodes d’accalmie.
Autre défi logistique : la teneur en eau très élevée des sargasses fraîches. Une grande partie du poids est constituée d’eau, ce qui nécessite un séchage important avant tout usage industriel. Cela représente un coût énergétique non négligeable.
Chiffres clés :
Coût moyen du ramassage par tonne : environ 100 à 250 €
Tonnage collecté en Martinique entre 2018 et 2023 : plus de 100 000 tonnes
Teneur en eau des sargasses fraîches : jusqu’à 90 %
Une Filière à Structurer
Pour structurer la filière, des rencontres institutionnelles se sont multipliées. En juin 2025, une réunion d’envergure s’est tenue au Robert, rassemblant le préfet, le conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique, des maires de communes concernées, des militaires du RSMA, et divers acteurs privés impliqués dans la collecte en mer.
Ces discussions visent à créer un cadre juridique clair pour permettre aux projets de valorisation de se déployer plus rapidement, tout en garantissant la protection des populations et de l’environnement.
« Il faut pouvoir assurer un modèle économique viable sur toute l’année et accompagner les entrepreneurs pour franchir les étapes de recherche et de mise sur le marché. » – Frédérick Voyer, GIP Sargasses
Entre Espoir écologique et Opportunité économique
Transformer les sargasses en richesse n’est pas un rêve inaccessible. C’est même une réalité qui émerge. Dans un contexte de transition écologique, cette plante invasive peut devenir un atout insulaire.
La Martinique, grâce à l’ingéniosité de ses habitants et l’appui de ses institutions, peut tracer la voie d’une économie circulaire locale, respectueuse de la santé publique et de l’écosystème caribéen.
Les futurs investissements devront cependant garantir des méthodes de transformation durables, rentables et conformes aux exigences européennes.
Ce modèle pourrait un jour s’exporter vers d’autres territoires touchés par les sargasses, faisant de la Martinique un modèle d’innovation environnementale tropicale.
Conclusion
Ce qui fut longtemps perçu comme un fléau pourrait bien devenir un moteur d'innovation pour la Martinique. Si les défis techniques, logistiques et réglementaires sont nombreux, les perspectives sont prometteuses. La valorisation des sargasses s’impose comme une voie d’avenir pour conjuguer développement économique local, création d’emplois et préservation de l’environnement. Un pari ambitieux, mais indispensable pour un territoire en quête de résilience face aux enjeux climatiques et écologiques du XXIe siècle.